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Rencontre avec Marc Fraize : « Le silence apporte une tension, il parle de lui-même »

6 Octobre 2021

Marc Fraize a troqué son jean trop court et son polo rose pour revêtir une longue robe verte, des gants roses et une perruque rousse au brushing impeccable. Quatre soirs par semaine, l’humoriste se glisse désormais dans la peau de Madame Fraize et se produit sur la scène du Théâtre du Rond-Point. Rencontre avec cet artiste hors-pair.

Après Monsieur Fraize, c’est Madame Fraize qui prend la relève. Pourquoi avoir changé de genre ?

J’ai joué le personnage de Monsieur Fraize pendant 20 ans donc j’avais besoin de faire peau neuve. Madame Fraize s’est annoncée un peu comme une évidence puisque ce personnage me proposait exactement tout le contraire de Monsieur Fraize. Les comédiens aiment bien les défis, donc je me suis lancé celui-ci.

Quelle différence y a-t-il entre Monsieur et Madame ?

Tout. Monsieur Fraize est mal habillé, il n’a aucune confiance en lui, il est très victime et coincé alors que Madame Fraize est très bien habillée, positive, ouverte et libre. Le genre change aussi. Je suis désormais dans la peau de quelqu’un de féminin.

De qui vous êtes-vous inspiré pour créer ce nouveau personnage ?

Pour créer Madame Fraize, je me suis inspiré de la mentalité de ma mère qui était quelqu’un de très positif. Et pour le corps, de toutes les femmes que j’ai rencontrées. Je trouve d’ailleurs, même si c’est un peu cliché, que le corps féminin est plus expressif que le corps masculin, ce qui offre plein de nouvelles postures de jeu.

Madame Fraize s’est annoncée un peu comme une évidence puisque ce personnage me proposait exactement tout le contraire de Monsieur Fraize

Toutes ces femmes que j’ai aimées dans ma petite vie sont des sources d’inspirations mais je ne note pas exactement tout ce que j’apprécie chez elles. Comme les autres personnes qui font de la scène, je suis un peu une éponge donc lorsque quelque chose me plaît, je l’adopte. Et à partir de là, je fais mes petites gammes.

Quel est le quotidien de Madame Fraize ?

Son quotidien n’est pas très clair pour moi, je ne sais même pas ce qu’elle fait comme boulot. J’ai imaginé qu’elle était en couple, ce qui est déjà beaucoup ! Madame Fraize, c’est surtout un tempérament, un caractère. Elle veut plaire à l’autre. Elle souhaite arranger les choses plutôt que de les envenimer. Elle a de la distance sur les drames, elle est très nature. Elle croit en l’Homme et a de belles choses comme la créativité. Elle est assez schtroumpfesque comme femme.

Au quotidien, je pourrais l’imaginer cuisiner, préparer des petits plats avec amour, mettre 8 heures à éplucher les légumes, en mettre partout et se dire : « C’est pas grave, on verra plus tard » [rires].

Quel est son humour ?

Un peu provocateur mais sans blesser. Elle veut juste amuser les gens. C’est une vraie gentille. Elle est généreuse, tolérante, patiente, on a presque envie de l’avoir comme copine. Elle pourrait même être chiante tellement elle est parfaite [rires]. Mais en même temps, elle interpelle et elle n’est pas si ennuyeuse parce que c’est une nana qui se permet de douter de la pensée unique.

Dans un silence, on retient toute l’attention alors que lorsque l’on parle, on peut vite endormir les gens

Quel lien Madame a-t-elle avec Monsieur ?

Eh bien, c’est moi [rires]. Depuis toutes ces années de seul-en-scène, j’ai trouvé un ADN qui m’est propre. J’aime les silences, les ruptures, le personnage, entendre des rires, troubler les spectateurs et les spectatrices. Tout cela se retrouve dans les deux personnages.

Qu’aimez-vous dans ces moments de silence ?

Au théâtre, la parole sert le silence. Dans un silence, on retient toute l’attention alors que lorsque l’on parle, on peut vite endormir les gens. Par exemple, quand on n’est plus attentif en cours et que le prof se tait, toute la classe se demande d’un coup ce qu’il se passe. Le silence apporte une tension, il parle de lui-même.

Le silence traduit aussi quelque chose. On ne fait pas de silences simplement pour écouter voler les mouches. Le silence est une arme que peu de comédiens osent utiliser parce qu’ils ont peur du vide alors qu’il est chargé d’émotions.

Dans ce spectacle, vous incluez davantage de moments parlés, pourquoi avez-vous fait ce choix ?

Madame Fraize est un peu pipelette alors que Monsieur Fraize était assez mutique, il ne s’exprimait pas beaucoup. Je trouvais intéressant d’inverser cette tendance et de jouer un personnage qui a envie de parler et de partager des choses plutôt heureuses. Même lorsqu’elle évoque sa capsulite (inflammation de l’épaule [n.d.l.r]). Elle en parle parce qu’elle aime bien attirer l’attention sur elle. C’est juste histoire de dire qu’on a chacun nos petits soucis mais que ce n’est pas si grave, qu’on peut les surmonter.

Vous avez travaillé la mise en scène avec Papy qui était également votre metteur en scène pour Monsieur Fraize, quels conseils vous a-t-il donnés ?

J’ai tendance à aimer déconner. Une fois qu’on accepte d’être un peu con, on se prend tout de suite moins au sérieux et les choses sont beaucoup plus légères. Le plus souvent, Papy me disait de bien garder cette connerie en moi. C’est sa grande philosophie et sa foi en les comédiens : aller loin dans les tours de la bêtise. Et sinon, Madame Fraize est un personnage clownesque alors on s’est défendu avec Papy d’aller dans le grotesque ou la vulgarité.

Le silence est une arme que peu de comédiens osent utiliser parce qu’ils ont peur du vide alors qu’il est chargé d’émotions

Vous fêtez vos 20 ans sur scène avec Madame Fraize : quels souvenirs gardez-vous de ces années ?

C’est un bilan tellement heureux. Je garde énormément de bons souvenirs comme le fait d’avoir été très vite adopté par le public, preneur de ce personnage d’anti-héros. C’était une chouette surprise ! Ensuite, j’ai été étonné de voir que je pouvais vivre de mon métier assez facilement, ce qui n’est pas désagréable. Après, j’ai découvert tout ce que permettait le théâtre. J’étais comme un gamin qui apprend à nager sans maître-nageur. Directement, j’ai été sur scène, devant des gens et j’ai découvert toutes les possibilités envisageables au théâtre : transmettre des émotions, faire rire.

 

 Madame Fraize sur scène ©Sébastien Marchal

Pendant toutes ces années, je n’ai eu que très peu de moments de galères. Ou alors ce n’était que des instants de solitude mais pas de réelles galères. Et puis, quand il y a des souvenirs malheureux parce qu’un soir ça n’a pas marché ou qu’on n’a plus confiance en soi, ça fait partie de la vie. Je prends tout, les roses et les épines aussi. Les galères permettent de grandir, de mettre la barre plus haut, d’apprendre à se relever si on tombe.

Madame Fraize est un peu pipelette alors que Monsieur Fraize était assez mutique, il ne s’exprimait pas beaucoup

Avec le peu de moyens que je pensais avoir, je suis très content d’être arrivé à rester 20 ans sur scène avec le personnage de Monsieur Fraize et de l’avoir sculpté petit à petit, d’avoir pris mon temps. C’était une super aventure et c’est pour ça que je remets le couvert !

Quel rapport entretenez-vous avec la notoriété ?

Ça n’a jamais été mon moteur. Ni le pognon d’ailleurs. Mais il ne faut pas cracher dans la soupe, ça m’a apporté plein de choses aussi. Par exemple, faire de la télé a un petit peu boosté les regards sur moi. Mais je me suis toujours méfié de la notoriété. Je ne me suis pas rué sur tous les projets que l’on me proposait. J’y suis allé à tâtons, doigts de pied par doigts de pied. Et ça m’a permis, peut-être, je n’en sais rien, d’être tempéré et d’avoir une vie équilibrée. J’ai pu prendre le temps de vivre auprès des miens, dans ma petite campagne et de ne pas penser en permanence à ma carrière de mec promu à être connu. Parce que c’est un métier qui t’avale vite. La seule chose que j’ai vu changer avec ma petite notoriété, c’est le nombre de spectateurs et spectatrices en salle et mon compte en banque [rires].

Vous avez fait plusieurs apparitions au cinéma, aimeriez-vous tourner de nouveau dans un film ?

Ce n’était pas dans mes plans de départ, je ne pensais pas que l’on allait m’appeler au cinéma mais je trouve cet art très intéressant. Je me suis aperçu qu’il ne s’agissait pas seulement de prendre ce qu’on me proposait mais aussi de choisir. Quand tu as plusieurs propositions, tu n’es pas obligé de tout accepter. Ou alors ça veut dire que tu vas bosser toute l’année et ce n’est pas mon truc. Tu peux te dire que tant que tu n’as pas un coup de cœur ou un bon feeling : « Non, merci beaucoup ». Je refuse des projets mais en toute humilité, c’est juste que je ne me sens pas de jouer tel ou tel rôle.

J’aimerais accompagner cette brave Madame Fraize là où le vent l’emmènera

Souvent, j’ai accepté de jouer dans des films parce que le scénario me plaisait. Je me demande en premier : Qu’est-ce que ce film va raconter ? Ensuite, quel rôle vais-je jouer ? Est-ce intéressant, pour moi, de jouer ce rôle-là ? Est-ce un vrai défi ? Et puis je regarde ce que le réalisateur a fait, si ses films me parlent par exemple.

Je ne pense jamais au fait qu’un film va me rapporter de la notoriété ou du fric parce que si je réfléchis comme ça, c’est le début de la fin de ma santé mentale. C’est une sorte de charte que je me suis fixé. Après, je peux faire des erreurs mais j’essaie de rester tant bien que mal en accord avec ce que je suis et ce que je pense. Dans ce métier, c’est un vrai luxe de choisir, j’en ai bien conscience. Et puisque j’ai le choix, je le prends. 

Quels sont vos projets pour les prochaines années ?

J’aimerais accompagner cette brave Madame Fraize là où le vent l’emmènera. J’ai aussi des projets pour ma vie à la campagne avec ma petite famille !

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©Photos de couverture : GIOVANNI CITTADINI CESI