Rencontre avec Nacer l’handicapable : l’humoriste combattant aux Jeux paralympiques
30 Aout 2024
Nacer Zorgani rentre au village le 1ᵉʳ septembre et combat sur le tatami de l’Arena Champs de Mars le 7 septembre. Capable de beaucoup de choses, il y a quelques semaines, le judoka était speaker pour les combats de boxe des JO. En dehors de ces aventures sportives, Nacer est aussi humoriste...
Qu'est-ce qui vous a poussé à vous lancer dans le stand-up, et comment cette activité a-t-elle influencé votre parcours de vie ?
En fait, c’est le stand-up et la boxe qui m’ont sauvé la vie. J’ai commencé parce que j’avais des gros problèmes, personnels, santé, une séparation compliquée, une dépression nerveuse, bref la totale. L'humour, ça a été ma première phase de reconstruction. Ça m'a vraiment permis de me ressaisir, de me reconstruire.
J'ai un vécu particulier au-delà du fait d'être en situation de handicap, c'est que grâce à ce dernier, j’ai toujours poussé plus loin les choses. J’ai eu la chance de faire du sport, travailler au sein de grands groupes industriels après avoir fait des grandes études (NDLR DEUG de philo puis double licence en langue et économie et 2 masters en stratégie et en finance).
Toute ma vie, on m’a toujours dit, tu ne peux pas, ton handicap, tu ne peux pas le faire, fais attention, assis toi là etc… et même ma famille et mes amis, par exemple Hakim Bougheraba (NDLR frère de Redouane, réalisateur des SEGPAS) me dit toujours que je veux trop être un super handicapé, prouver que je suis capable, d'où le handicapable.
Aujourd’hui c’est le sport qui prend une place importante dans votre vie, quel est votre quotidien de judoka qualifié ?
Pendant 2 ans et demi pour obtenir ma qualif et préparer les jeux, je me suis entrainé tous les jours, de 19h30 à 21h sachant que je travaille à Paris 2024 de 8h à 18h, du coup évidemment, j’ai eu beaucoup moins de temps pour venir jouer au Paname. Depuis mars 2022, j’ai commencé à moins venir parce que j'avais recommencé le judo et cela fait partie des nombreux sacrifices que j’ai dû faire.
Depuis combien de temps pratiquez-vous ce sport ?
Le judo de compétition à haut niveau en équipe de France et au PSG Judo, j'en ai fait pendant deux ans et demi. Pour un marseillais, être au PSG c’est chaud quand même. [rires] Et maintenant, je suis licencié à Bourg-la-reine.
Je n'ai pas fait beaucoup de judo dans ma carrière sportive. Moi, j'ai fait beaucoup d'arts martiaux, karaté, taekwondo, boxe pieds-poings, mais surtout beaucoup de boxe anglaise. J’ai repris le judo par un concours de circonstances en fait. J’avais un ami, Mehdi Sanoune, ancien champion du monde WBA des mi-lourds, avec qui je m’entrainais. Et on a déjeuné avec Jamel Bouras qui me dit “ Tu sais qu’il y a les jeux en Para à Paris 2024 ? Moi, j'ai toujours rêvé d'ouvrir une section paralympique au PSG tu ne veux pas venir ?”
J'ai 36 ans, je n'ai pas touché un kimono depuis Mathusalem, je n'ai pas envie de souffrir. Mais il m’a chauffé le cerveau et du coup, j'y suis. Mais ça a été dur, j’ai fait comme je le disais beaucoup de sacrifices.
Sur quoi avez-vous fait une croix ?
J’ai arrêté le Stand-up, j’ai arrêté d’écrire. J’ai fait des sacrifices familiaux aussi, je vois moins ma famille, je pars souvent en stage. J’ai même une hygiène de vie différente, je peux plus me permettre de sortir, de manger n'importe quoi. J'ai investi de l'argent, les soins ne sont pas tous pris en charge, le taxi pour être à l’heure non plus etc.
Nacer ZORGANI France Judo 2022 © Stéphane Bonnet
Est-ce que tu as vécu des moments difficiles dans ta préparation pour les Jeux ?
La plus grande désillusion que j'ai vécue, est arrivée en 2022. Je pars au championnat du monde, préparé à la Rocky 4. Je tombe contre un brésilien de 140 kg, un monstre. Et c'est moi qui domine pendant les deux premières minutes de combat, le mec n’arrive pas à s'imposer. Je suis à fond et d'un coup, il envoie une attaque. Je contre, mais il était tellement lourd et tellement rapide qu'on tombe tous les deux.
Je me pète le genou, hémorragie interne. Et franchement, j'ai compris à ce moment-là ce que ressentent les sportifs de haut niveau. La défaite, ce que ça peut faire, mais surtout la blessure. J’ai eu un mois de soin, c’était impossible d’opérer.
Ensuite, je reviens sur le tatami le 2 janvier et le 6 janvier, c'est le championnat de France départemental qualificatif pour le championnat de France 1ere division chez les valides et je finis troisième. Mais malheureusement, le 21 janvier, septuple fracture de la clavicule. Et là, c'est la catastrophe. Je me suis fait opérer à la clinique du sport, je suis dans mon lit et je pleure. Je pleure parce que je me dis, c'est fini, je ne serais jamais aux Jeux paralympiques.
Pourtant, vous n’avez pas laissé tomber, qu’est-ce qui vous a poussé à vous dépasser ?
Je suis revenu en avril 2023 pour un stage à Besançon. Et je me retrouve face à un concurrent qui lui aussi veut faire les jeux. Là, il y a une course qui s’enclenche, je me motive, je fais des exos, je fais des prépas. Je reprends aussi le boulot, avec le programme des volontaires de Paris 2024.
Cependant, je suis encore trop juste, et en Juin, je ne suis pas sélectionné pour les championnats du monde et d’europe qui ont lieu en été, je ne sais plus quoi faire, je suis déprimé et je jette mes kimonos au placard.
Arrive le mois d’août, je ne veux plus entendre parler de judo, mais Julien Parrot, un des membres du staff de l'équipe de France avec qui je m’entends bien, m’appelle et me dit : “Oublie les jeux, fais du Judo pour toi, viens faire un stage à Avignon.”
Lors de ce stage, je réussis un très bon mouvement de judo sur un mec très lourd. Et c’est comme un passage de stand-up, tu cartonnes, tu sors de scène, galvanisé. Ensuite, j’ai fait 16 compétitions, plus de 57 combats, sept podiums.
Et le 15 juin 2024 je passe ma ceinture noire, je l’obtiens haut la main et mon rêve c’est d’avoir ma ceinture noire dans tous les arts japonais, c’est fait pour le Judo, je suis marron en Karaté et en Aikido, après les Jeux je les passe là aussi. Et là, je sors de l’examen, et Frédérique Jossinet, championne olympique, médaillée d’or et présidente du comité de sélection de France Judo, m’annonce que je vais participer aux jeux. La même semaine, j'apprends que je vais présenter le tournoi Olympique de Boxe.
Vous venez de l’évoquer, mais vous ne participez pas au JO seulement en tant que bénévole ou sportif, comment est-ce que vous vous êtes retrouvé à présenter la boxe ?
Je suis un grand fan de boxe, j'étais boxeur et en 2017, il y avait un gros match au stade de Wembley à Londres entre Anthony Joshua et Wladimir Klitschko. Et là, je regarde le combat et je vois un mec, un vieil américain qui s'appelle Michael Buffer qui fait la présentation avec une voix particulière. Et moi, je l’imite et on me fait remarquer que ça ressemble vraiment à du Buffer.
Quelques semaines plus tard, je suis invité à une soirée de boxe. Et à un moment donné, j'ai un micro. La salle est pleine et je le fais. Et là, les mecs sont super chauds ! C'est comme ça que j'ai commencé à présenter un Gala puis un autre.
Et un jour, je croise le directeur de la présentation sportive des jeux et dans l’ascenseur, je lui fais la voix et il me regarde, étonné, et voilà ensuite ça commence par un test event à Roland-Garros en 2023. Puis, ils m’ont proposé d’être la voix française et anglaise pour les jeux.
C'était pour moi une marque de confiance énorme et une preuve d'inclusion, ça prouve que quel que soit le handicap. Si tu donnes les moyens à une personne, un bon staff et une bonne préparation, elle peut tout faire. Ma devise sur Insta, c'est du ring à la scène, il n’y a qu’un pas. Et le stand-up m’a servi pour présenter la boxe en définitive.
Pensez-vous reprendre votre carrière d’humoriste une fois les jeux terminé ?
J’ai déjà écrit un spectacle que je voulais lancer en 2022, mais je me suis concentré sur le judo à cette période-là. Je vais le reprendre avec Ali Bougehraba, (NDLR le grand frère de Rédouane) et j’irais faire du rodage à Marseille au Théâtre de l’Antidote.
De quoi parlez-vous sur scène ?
De mes parents, parce que j'ai des parents extraordinaires, un papa qui est un mélange entre un général allemand et un philosphe romain très cultivé et passionné de politique. On l’appelle le général d'ailleurs. Et puis ma maman, c'est l'inverse, elle c'est une Algéroise. C'est un peu la fleur algéroise, très douce, très cultivée. Donc c'est une partie du spectacle en hommage aussi à mes origines. Ensuite ça va être l'adolescence à Marseille avec le football, je vais parler forcément du monde du handicap.
Je vais aussi raconter le passage à vide que j'ai vu dans ma vie. J'ai fait une grosse dépression avec des épisodes fantastiques. Je vais également parler du monde de l'entreprise parce que j’y ai eu une belle carrière d'une dizaine d'années dans plusieurs boîtes, à haut niveau, donc j'ai des trucs un peu à raconter et puis on va rajouter un dernier chapitre dédié aux Jeux Olympiques et paralympiques forcément.
Retrouvez l’actualité de Nacer sur son compte Instagram. Pour accéder à la billetterie, rendez-vous sur le site des Jeux Paralympiques.